Samedi 16 juin 2018
« Celui qui voyage sans rencontrer l’autre ne voyage pas, il se déplace »
Contente de vous retrouver pour vous raconter tous ces moments jusqu’à notre arrivée à Sergiyev Posad.
Nous avons quitté le Japon et changé tous nos plans.
Nous avons dû faire le constat que pour nous, la Mongolie ne sera pas. Un choix est toujours un regret et, pourtant, nous avons préféré nous attarder au Japon. En Mongolie, les gens appellent le mois de juin, le Mois de Pluie. Nous sommes chargés et s’il est encore possible pour un motard seul sur sa bécane de traverser ce pays superbe, à deux, c’est trop périlleux. Les gués sont si hauts, que les voyageurs en 4×4 ont l’eau jusqu’au capot. Il faut savoir être sages.
Nous repartons en ferry à Vladivostok. Notre bateau avance à 18 nœuds (à peu près 34 km) et les 1200 km nous laissent deux nuits à bord.
Tatiana, nous a évité les tatamis à 72, a parlementé avec les douanes et la moto a pu embarquer chargée. Si nous étions à l’aller 4 motards, au retour, que de magnifiques rencontres. Dix motards coréens de BMW qui partent à Garmisch-Partenkirchen en Allemagne, descendent en Italie par les Alpes puis rejoignent le Portugal.
Le plus vieux : 78 ans ! Quel bonheur de le voir et quelle bouffée d’espérance pour nous. Rire et bavardage, ils sont dans une cabine à 8 en face de la notre à 8 aussi. Dans la nôtre, 2 petits français d’une trentaine d’années, baroudeurs en sac à dos depuis plus d’un an et une médecin coréenne qui travaille aussi en Russie (et deux couchettes vides).
On rencontre aussi un motard turc qui roule dans le monde depuis deux ans sur tous les continents. Un homme incroyable au nez camus et une barbichette qui volète dans le vent. Il ne décolère pas de voir Erdogan au pouvoir, élu par la diaspora européenne qui ne vit pas vraiment les préceptes qu’ils imposent aux autochtones. Et encore, Thomas, à vélo. Thomas a un regard bleu d’une grande fraîcheur, il a 34 ans et a quitté la France il y a 22 mois, sur son vélo. Aujourd’hui, il ressent le besoin de rentrer et sait que son voyage l’a profondément changé. Et encore James et Katy, deux anglais qui viennent de travailler 1 an au Japon après avoir vécu 3 ans en Inde. En Russie James roulera à moto jusqu’à Moscou et Kathy prendra le train. Et encore (si ça vous casse les pieds sauter directement au paragraphe suivant) un couple en 4×4 sur les routes depuis 3ans. Eux vont en Mongolie.
Et encore et surtout Katsura Qi un motard japonais. Katsura est tout petit, les yeux myopes derrière ses lunettes rondes et le sourire accroché dans son regard. Nous avons tellement parlé. Il est patient avec moi pour que je puisse parler dans mon anglais précaire. Jean-Luc et lui échange plus facilement. Il part pour deux mois sur sa petite moto sur la route de Magadan. Nous avions songé à cette route qu’on appelle aussi -la route des os- parce qu’elle a été tracée par les bagnards des goulags et des milliers de déportés sont morts à la tâche. La route est très au Nord, c’est une piste d’ailleurs.
Katsura a roulé dans le monde entier. Il a une femme qui reste à la maison pour s’occuper de leurs chiens et parce qu’elle n’aime pas la moto. Nous avons parlé de l’écriture qui nous est si hermétique. Ainsi quand il a écrit nos noms en expliquant que chaque syllabe correspond à un symbole, je me suis sentie heureuse de voir que mon nom s’associe à la terre, à la mer, à la route. Que celui de Jean-Luc est associé à l’épi de blé nourricier, à l’espérance, à la paix et la sécurité.
Les heures filent vite ainsi sur le ferry et si, quand la houle s’est levée, secouant le bateau entre roulis et tangage, la pluie giflant les ponts, mon estomac n’a pas résisté… Sea-sick ? a dit Katsura. Premier sea-sick de mon existence… Jean-Luc a mieux résisté. Le lendemain la mer s’était apaisée. Les passagers ont pour la plupart rejoints leurs tatamis et d’irréductibles coréens sont restés au pont inférieur à lever des toasts sans discontinuer.
En arrivant à Vladivostok, Svetlana la jeune femme faisant le lien douane a retrouvé tous les motards et 4×4, Youri, qui bosse avec elle, a conduit toute la troupe dans leurs hôtels respectifs avec un RV pour le lendemain pour récupérer les motos.
Le lendemain, les grands vivas ont salué chaque moto qui sortaient de la douane (au Japon, chacun entre et sort sa propre moto du ferry, en Russie, c’est niet, un préposé sort la moto de l’espace des douanes). Et puis, accolades et poignées de mains et chacun a repris sa route. J’ai eu la gorge serrée de voir Katsura enfourcher sa moto et agiter la main.
Au Japon, nous avions pris notre décision et nous avions posé, pesé nos choix. Nous ne referions pas non plus la totalité de la transsibérienne ; le temps permis par le visa nous est compté et nous n’arrivons pas à savoir le réel état de cette fichue route entre Vladivostok et Irkoutsk, surtout autour de Chita et Oulan-Oude où les avis divergent.
Alors, on a trouvé un vol Aéroflot à mini-prix. 8h30 de vol entre Vladivostok et Moscou.
A Vladivostok, nous avions trouvé Andrei qui a mis la moto dans le train. Elle arrivera dans quelques jours.
Et nous pendant ce temps ? Nous nous baladerons dans les toutes petites villes de l’anneau d’or. Villes médiévales dans la Russie rurale. En train et à pied.
C’est vraiment la bonne option et nous nous réjouissons d’avoir, pour une fois, anticipé. Parce que, ici, c’est la coupe du monde de foot. Et qui dit foot, dit businesse. Les prix flambent, se multiplie par presque 100. (Un p’tit appart à Moscou banlieue par Airbnb que nous avions choisi passe le surlendemain après un mail de la jeune femme qui nous le louait de 1 500 roubles à 120 000. On a annulé et Airbnb a remboursé sur le champ, ouf). Toutes les villes où se jouent un match sont inabordables. Quel bonheur d’y être passé dans la froidure et la tranquillité de l’hiver qui ne finissait pas. Mais ne nous leurrons pas, la ‘liesse populaire’ qui nourrit les journalistes, à moins que ce ne soit le contraire, n’existe qu’à la télévision et en cherchant bien qu’autour des stades où sont organisées les rencontres. A Vladivostok, comme à Irkoutsk, ou encore ici à Sergiyev Posad pas de grands panneaux publicitaires et à peine de ventes supplémentaires de drapeaux russes. Mais on s’en fout, ailleurs (c’est-à-dire là où nous sommes), du coup les hébergements sont bradés et ça nous va bien !
A Moscou, une femme adorable qu’on a rencontré dans la navette aéroport, nous a pris sous son aile et à fond de train nous a conduit à la bonne gare. Elle ne parlait pas un mot d’anglais, marchait à toute vitesse, se retournait pour voir si nous suivions bien (on peinait avec nos sacs de moto pas du tout adaptées au transport en jambes). Elle voulait même payer les tickets de métro, mais niet, spassiba quand même… Les gens sont vraiment chaleureux et généreux.
C’est ainsi qu’après 8h30 de vol, 40 minutes de navette aéroport-gare de Kiev, ( c’est à Moscou hein !), 30 minutes de métro (ligne 5, vous savez, celles qui a les fameuses stations) 1h30 de train, et 8 heures de décalage horaire nous voilà à Sergiyev Posad. Ouf!
Sergiyev Posad
Le charme de la Russie a opéré une nouvelle fois. S’il faisait encore frais dans l’Extrême-Orient russe, ici, l’été est là.
Quel changement ! Je suis stupéfaite de la rapidité avec laquelle la nature se dépêche de croître, d’étirer son feuillage dans le ciel bleu. A l’aller j’étais en amour devant les bouleaux nus et scintillants, la glace et la neige. Tout était enveloppé d’une sorte de nostalgie douce.
Aujourd’hui, le vert rutile, les maisons cachées derrière leurs palissades deviennent encore plus invisibles sous les feuillages. Le train s’arrête dans la forêt : un quai, un banc, une gare minuscule. Et enfin, notre arrêt qu’on a failli le louper d’ailleurs.
La forteresse fortifiée du monastère Troitse-Sergiev, la Laure de la Sainte Trinité-Saint Serge, (centre spirituel orthodoxe du XIVe siècle, inscrit au patrimoine de l’Unesco. ) des bulbes qui flamboient, des coupoles turquoises, des maisons de bois, un lac bleu vert, des bouleaux qui bruissent dans la légère brise, des envolées de popes et de nonnes, la fontaine où l’eau est sacrée et, une émotion profonde de m’apercevoir que l’on a quitté le shintoïsme pour retrouver la même ferveur chez tous ces pèlerins orthodoxes et que les dieux sont tellement les mêmes partout que les chinois en visite font les mêmes gestes pieux avec l’eau qui coule des branches de la croix plantée dans la fontaine bleue.
Je n’ai pu rentrer dans les églises sans foulard, alors on en acheté un pour demain…
Je ne sais pas comment retenir les heures qui glissent entre les doigts.
Je ne sais pas comment garder en mémoire ces instants enroulés de magie.
Ecrire, grave les heures, les rencontres légères, éphémères et pourtant si intenses.
Parfois, je me dis que je ne pourrais jamais rentrer, et puis, je pense à nos enfants, à nos petits-enfants, à nos parents si fragiles et je sais que nous rentrerons.
Ce que nous avons aimé
- Bavarder avec les motards du monde entier.
- Réaliser que tant et tant de gens voyagent, apprennent et ouvrent les yeux en grand pour sortir d’une zone de confort si sécurisante et parfois avec si peu de moyens.
- Nous sentir tout fier que le jeune Turk nous dise que ce sont bien les français (et de tous âges) qui sillonnent le plus le monde.
- Que chaque pays contient un univers de culture si différent de la nôtre.
- Que le monde est beau, si beau…
- Regarder des enfants jouer avec une pelle mécanique dans le sable et ils nous disaient tout un tas de choses et on répondait en français et ils poursuivaient sans même se rendre compte que nous ne comprenions rien. C’était drôle.
- Photographier n’importe quoi, tous les deux maintenant.
Ce que nous n’avons pas aimé :
Il faut se creuser la tête !
- Avoir le mal de mer.
- Etre accusé du vol de la télécommande de clim dans l’appart loué à Vladivostok, au retour du Japon, ne pas s’être aperçu qu’il y avait une clim et a fortiori une télécommande. Payer 1000 roubles pour un méfait inexistant, comprendre que c’est de l’arnaque (c’est queue dalle 1 000 roubles) et ne pouvoir argumenter par défaut de maîtrise de la langue et surtout par manque de temps pour ne pas rater la navette aéroport.
Et pour finir, après cet fin d’hiver si âpre, si rude, si glacée sur notre route sibérienne (nous en avons même la nostalgie, déjà!), nous trouvons une Russie verdoyante, tiède, comme si nous découvrions un nouveau pays.
Maurice, tu as raison il faut faire le chemin dans les deux sens pour en extraire toute la quintessence .
A bientôt fidèles lecteurs-suiveurs-commentateurs. Nous vous embrassons, tous.
Super ! Génial ! Bravo !
Grosses, grosses bises.
Que j’avais aimé la douceur de Sergueï Possad…. une sorte de Lourdes… et le même Dieu partout !
Neige-t-il du bouleau ?
Des rencontres superbes… et des échanges d’adresses j’imagine…
Plein de beaux signes dans les symboles de vos prénoms mélangés..
Bisous !