Dimanche 20 mai 2018
« La musique, c’est le silence entre les notes ».
Cette jolie phrase de Debussy résonne exactement comme le fait notre voyage.
Ces derniers mille kilomètres nous ont emporté le long du fleuve Amour, juste en face de la Chine. Traversant une Sibérie rurale de grandes fermes privées avec leurs salariés vivant en immeubles rectangulaires et décrépis, des fermettes modestes et ce que j’appelle l’agriville où devant tous les immeubles les gens cultivent des minuscules potagers.
La provodniskya nous annonce l’arrivée proche et, voilà, nous sommes dans une parenthèse enchantée depuis quelques jours à Vladivostok. Une ville portuaire qui surplombe la baie de la Corne d’Or, aux frontières de la Chine et de la Corée du Nord. Une grande ville pleine de lumière sur le Pacifique et si loin du pouvoir central de Moscou que les rumeurs de corruption vont bon train.
Pour nous, étrangers et touristes nous n’en verront rien, ni garde du corps, ni police bardée de gilet pare-balles et aucun sentiment d’insécurité comme dans toute la Russie d’ailleurs. Et au bout de cette ligne transsibérienne si longue, de cette équipée motarde si belle, les clichés des vilains russes violents, poivrots, mafieux s’effritent. Alors, oui, ils doivent exister, nous ne sommes pas béats-idiots mais surtout nos médias s’accordent à dépeindre un monde de corruption et confondent allègrement gouvernants et peuple.
En arrivant à la gare au petit matin, un peu sonnés des heures paresseuses passées dans le train, nous ne savions pas que nous resterions une semaine dans cette ville de bout du monde.
Une gare avec un plafond si beau correspond forcément au charme de la ville, et c’est vrai.
Quand on ne prévoit rien, forcément on se laisse surprendre…
Pour exemple, suivez la vidéo suivante jusqu’au bout (avec le son)!
Nous voilà dans un hôtel qui sent le vieux poisson mais avec vue sur la baie. Faut porter le regard loin parce que juste devant c’est, comment dire, très très moche sauf la salle du petit déjeuner au décor improbable.
Mais qu’importe demain est un autre jour, on récupère la moto. Si, ils ont dit un jour après notre arrivée. Et on prend les tickets de ferry et on part au Japon.
Trop chouette!
Ne perdons pas de temps, et filons à la gare maritime.
Filez, c’est beaucoup dire, ça grimpe et ça descend les rues de Vladivostok, on est un peu poussifs !
DBS Cruise, Eastern Dream, le nom de la compagnie et celui du bateau.
Olga parle anglais, japonais et russe. Elle est très jolie, très compétente.
« Nous souhaiterions une cabine dite junior », c’est un peu cher mais on sera peinards.
« Voilà, vous êtes enregistré, pas de problème si votre moto n’est pas là demain, on reportera à mercredi prochain »
« Spassiba Olga »
« Maintenant, vous voir avec Svetlana pour la moto et la douane, voilà son numéro de tel »
Svetlana parle anglais, russe et japonais.
« Pas de problème si la moto n’est pas là, on reportera »
« Spassiba Svetlana »
« Il faut vous mettre en relation avec Tatiana qui est au Japon et vous dira les formalités pour l’arrivée, voici son mail »
« Da da, spassiba »
Et le lendemain…pas de moto et on ne sait même pas où elle est. On a un papier et une adresse et un téléphone et un interlocuteur qui ne parle que russe un point c’est tout.
Suspens… on prend un taxi qu’on avait fait appeler par l’hôtel. Le réceptionniste avait écrit : 10 (minutes) et n°133.
On attend, on attend, on attend. Nous sommes les champions de l’attente. Un monsieur à cheveux blancs dans sa voiture bleue nous demande : taxi ?
Mais c’est qui cuilà ? un faux taxi à tous les coups. Niet, niet. L’homme attend dans sa vieille voiture redit taxi ? On redit niet et il s’en va. Je retourne à la réception. « No taxi ». Le réceptionniste appelle, raccroche, écrit sur un papier 133, blue.
Et nous voyons revenir l’homme à la vieille voiture. Immatriculation 133, voiture bleue.
On rit, il rit (jaune je crois) et on roule, on traverse toute la ville, boudiou mais où va-t-on ?
On traverse des voies ferrées bien rouillées, on saute sur les trous de la chaussée et notre chauffeur arrive devant un entrepôt.
Il explique et on comprend fort bien même en russe qu’il nous a attendu, qu’il est revenu, bref que ça fait 300 roubles. Jean-Luc lui donne 450 et lui demande de rester ½ heure, 4 euros ne va quand même pas nous mettre à plat. L’homme est ravi et veut rendre service. Il cherche quelqu’un pour nous aider devant cet entrepôt où il n’y a pas trace de moto visible. L’homme téléphone, parlemente et nous dit : « moto, demain, 10 h » Il viendra nous chercher à l’hôtel. 133, bleue la voiture. Il nous ramène, n’accepte pas d’argent pour cet interminable retour.
Et on redescend la colline à pied, déconfit, jusqu’à la gare maritime.
« Bonjour Olga, nous pas moto, demain moto »
« Demain trop tard, vous partir mercredi prochain et moi fait le changement des billets et vous voir avec Svetlana et avec Tatiana »
Tap-tap-tap-tap les jolis doigts d’Olga sur l’ordinateur
« Alors, plus de cabine et vous choisir, tatamis avec 72 passagers ou place dans couchettes avec rideaux pour huit personnes »
« Da, da, avec 8 personnes c’est mieux que 72 sur tatamis ! »
Allez, je vous épargne chers lecteurs, on a récupéré la moto en pleine forme. On a trouvé un studio tout propre dans The Street de Vladivostok et, miraculeusement on a un temps précieux pour découvrir la ville du terminus du transsibérien.
Alors un p’tit topo de la ville ?
On dit qu’elle est comparée à San Francisco et je trouve que c’est un peu vrai, tout en colline et tout en verdure printanière. Il fait chaud, la baie de l’Amour s’étale devant elle, le pont pourrait être le Golden Gate Bridge en plus petit. Pas de tramways mais un funiculaire.
Visite du sous-marin
Le doux couinement de la passerelle !
Le Funiculaire près de la Fosse aux Ours, c’est ici, pas à Lyon!
La ville est restée longtemps fermée tant aux russes eux-mêmes qu’aux étrangers parce que c’était la base militaire de la flotte russe du Pacifique.
Jean-Luc a lu sur Courrier International (2009) que les chinois proposaient de louer aux russes une partie de la ville avec douane et tutti quanti. J’ignore si le projet a abouti mais ce qui est certain c’est que coréens et chinois semblent tellement nombreux qu’on dirait qu’il n’y a plus de russes. Ok, ce sont des touristes qui débarquent soit du transsibérien soit des ferries et qui piaillent de joies comme des gamins et qui se baladent au bout d’une perche à soi-même !
Les chinois si proches ont de gros atouts dans leur poche pour investir cette ultime partie orientale de la Sibérie : des investisseurs et des sous.
Cela dit, la sensation est bizarre de passer des steppes désolées et pauvres à cette ville où explosent les immeubles neufs, les rues parfaites et si clean, les boutiques luxueuses, des vieux bâtiments parfaitement rénovés, des théâtres, des restaurants et les voitures idem : Lexus, BMW, Mercedes et autres méga Pajero Mitsubishi. La libéralisation a bien fonctionné pour certains …
Une ville qui bouge, qui vit, qui frétille et la baie si bleue en toile de fond, c’est surprenant.
Alors, on savoure, on se balade sur la promenade des russes, on fait nos courses et on se tape les côtes et les descentes, j’ai un nouveau pantalon et des nouvelles chaussures, les autres baillaient aux corneilles. On déambule dans la jolie rue piétonne Fokina Oulista qui plonge dans la baie.
Chose curieuse: si des ouvriers ont fait la Révolution il y a 100 ans, maintenant, d’autres construisent des cathédrales.
On est allé vérifier que la moto était bien derrière les barrières de la douane. On s’est dit que mardi, Jean-Luc serait appelé pour la faire démarrer (vous vous rappeler le problème de la clé qui coinçait ?)
Vous avez vu, elle est rutilante! Faut dire qu’un véhicule propre est une exigence niponne et nous avons dû nous y plier…
On a lancé des bravos aux coureurs du semi-marathon, rit avec nos voisins spectateurs. Fait le plein de sommeil, de soleil, de bonheurs avec un ‘s’.
Départ du 21 km !
Danseuses en herbe!
Tout le monde danse !
Ce que Jean-Luc a aimé
- Lire que les sanctions européennes ont eu un effet inespéré pour les russes qui frisent l’autosuffisance. Ils exportent depuis 2015, 60 % de leur blé et les agriculteurs sont maintenant subventionnés. Au niveau commerce, on s’est encore une fois bien fait berner par les américains !
- Sourire de la facilité avec laquelle les russes font la queue. Une file immense rien que pour avoir un maquillage de fête, ou pour avoir des prospectus et des babioles gratuites, c’est vrai on ne voit pas ça en France.
- Manger des pirojkis, petits chaussons fourrés à la viande version russe des empenadas argentines et finalement propre aux pays où les cultures maraîchères sont insuffisantes à cause du climat.
- Me photographier photographiant n’importe quoi.
Ce que Dominique a aimé
- Avoir enfin un pantalon propre et un autre neuf et à ma taille qui ne tombe pas tout seul parce que j’ai perdu des kilos.
- Regarder les asiatiques prendre et se prendre en photo.
- Admirer les affiches de théâtres et rêver de voir Anna Karénine à l’affiche en ce moment. En russe, c’est trop compromis…
- Visiter le sous-marin C56 qui fut un fleuron de la flotte du Pacifique.
- Photographier n’importe quoi.
A tous, à bientôt en direct du Japon, ne soyez pas inquiet sans nouvelles, on ne sait pas quand, cela dépendra s’il y a du Wifi ou des prises électriques sur le bateau.
Merci d’être si nombreux à nous suivre. Vive WhatsApp, vive Messenger, vive les courriels et bonjour l’amitié, bonjour la tendresse et merci à cette humanité qui nous entoure et à chaque voyage nous émerveille !