Le 14 mai 2018
Nous quittons le pays des Bouriates, le lac Baïkal, le monde des chamanes, ses mystères et ses secrets, pour rejoindre Irkoutsk.
Nous reprenons le même hôtel où une délicate attention nous attendait, l’image d’un motard et écrit « Bienvenue » en français.
Très vite nous renfilons nos vêtements « civils » pour rejoindre le grand Park de la ville où se déroulent les festivités du 9 mai, fête de la victoire avec un jour de décalage avec la France.
Tout le centre-ville est piéton et d’ailleurs, et c’est pour cette raison qu’il a fallu user du JLB GPS pour rejoindre l’hôtel à notre arrivée dans la ville. Nous avons manqué les défilés officiels, puis tous les défilés des familles portant la photo de leurs proches disparus à la guerre au bout d’une pancarte. Nous avons rencontré une dame et sa fille qui avaient perdu père et grand-père.
Elles expliquaient que chaque année, commémorer leurs disparus était faire vivre la mémoire de leur sacrifice. Quelle différence avec notre 8 mai qui n’est devenu qu’un banal jour férié !
La journée est festive et sur une grande scène entourée de gradins aux couleurs de la Russie, se succèdent, musiciens, chanteurs, danseurs dans une ferveur et une liesse bon-enfant.
Que ça fait du bien de vivre ça !
Dans le parc où les gens agitent une colombe blanche et arborent une cocarde du souvenir, achètent calots et drapeaux au milieu des glaces et autres friandises, nous nous asseyons sur un banc à côté d’un jeune couple et grâce à Google Trad, la discussion va bon train. Ils aiment leur pays, le trouvent trop pauvre, adorent la musique de la langue française et lui, nous avoue élever un ours. Blague ou réalité, nous ne saurons pas !
Ce n’est qu’au soir que nous rejoignons nos pénates, ravis tant des rencontres que de notre journée et nous endormons au son du feu d’artifice.
Chaque hameau, chaque village, aujourd’hui avait accroché à la palissade, qui un drapeau de la Russie, qui un drapeau Rouge.
Et le lendemain …
Nous avons quitté Irkoutsk en direction de Vladivostok, après avoir appris que la route s’avèrerait une terrible épreuve : 1 500 km de piste annoncés, 500 km de travaux sur les 3 800 km qui sont à parcourir, c’est trop énorme comme défi pour l’équipage que nous menons. Nous avons conscience de deux choses : la chance inestimable d’être arrivé jusque là et l’immense fatigue que nous ressentons certains soir, bien peu propice pour supporter de rouler sur une piste des jours entiers.
Le voyage est une métaphore de la vie. Il y a le froid, la fatigue, la crainte du logis du soir, la crainte de l’accident, de la chaussée impitoyable, mais à la fin, il ne nous restera à l’esprit que les isbas noircies, les bouleaux qui en quelque jours éclatent du vert tendre de leur frêle feuillage, la glace bleue du Baïkal, la soupe chaude réconfortante, les pouces levés des gens que nous croisons ou qui nous dépassent, les rencontres éphémères, et nos rires, ensemble quand nous arrivons à l’étape.
Il ne faut pas sacrifier nos rêves, les autres ont besoin de nous, et nous, nous avons besoin de les savoir heureux.
Alors, on vit, on avance vers l’inconnu, on vieillit ensemble sur cette route infinie, par-dessus les ornières, celles du chemin, celles de nos âmes, de nos erreurs et on fait des choix, main dans la main.
Quand on fait des choix, c’est qu’il y a plusieurs options tentantes et c’est donc forcément difficile. Et quand le choix est posé, à deux, on ne se retourne plus dans le regret et on avance.
C’est comme ça que nous sommes passés de la Route Transsibérienne au train Transsibérien qui va à Vladivostok.
La moto, partie un jour avant nous arrivera un jour plus tard que nous.
Trouver l’endroit du fret, expliquer ce que l’on veut, et réussir, c’est déjà une petite victoire.
Trois nuits, quatre jours pour atteindre Vladivostok depuis Irkoutsk.
Un temps propice pour parler, pour rêver, pour regarder ce paysage si vaste, la Taïga encore enneigée, les steppes désertes où sont posés de pauvres villages sur l’herbe qui verdit.
C’est prendre le temps de penser à toutes ces vies qui défilent, à la difficulté de leur survie dans cet environnement qui, s’il nous semble romantique est pourtant certainement hostile.
Ce n’est pas pour rien que de nombreux goulags ont été installés sur cette route, les premiers pour une fonction économique pour construire la voie ferrée, les suivants, pour le redressement et la punition.
Aux portes d’un goulag, on pouvait lire « D’une poigne de fer, nous conduirons l’humanité vers le bonheur ». Je ne sais pas ce que les zeks en pensaient.
C’est le temps de penser au confort de nos existences et quand nous voyons toutes ces maisonnettes entourées de palissades pour se protéger des loups et des ours, ces maisonnettes avec leur petit potager, le lac et le fleuve pour pêcher, il est facile de comprendre leur vie si rude.
La vie dans le train
Quand on prend le Transsibérien, faut déjà savoir que les horaires sont tous à l’heure de Moscou. Aussi faut-il bien calculer le décalage horaire, au risque de se retrouver à quai à attendre ou à pleurer du train déjà parti ! Qu’on se rassure, nous connaissions la chose !
Chaque Wagon, que ce soit les 3èmes, 2èmes ou 1ères classes ont leur provodnik si c’est un homme, ou leur provodnitsa si c’est une femme. Ils ont l’entière et absolue responsabilité et sécurité de leur wagon et font la pluie et le beau temps.
La notre, Tania, est très souriante, aimable, dit quelques mots d’anglais et se met en quatre pour nous faciliter la vie et nous vendre toutes ses babioles (glace, tasse à thé, peluche de foot …). Elle passe l’aspirateur entre nos jambes, m’entraîne entre deux wagons pour fumer, chut, chut, c’est interdit ! De toute évidence, elle craint énormément la Police du Rail.
La nuit succède au jour, nous mangeons nos provisions, concombre, tomate, banane, une grosse saucisse fumée, mais à cuire, que Jean-Luc ne gâchera pas ! A une extrémité de chaque wagon, le samovar est bien utile pour le café et les nouilles lyophilisées.
Nous avons choisi d’être en première classe pour avoir la tranquillité d’un compartiment à deux couchettes (n’oublions pas que Jean-Luc ronfle !). C’est quand même mieux que celui à quatre couchettes ou celui à 58 (oui, cinquante-huit !) où, lorsque nous le traversons pour aller au wagon restaurant, les odeurs de pied, de nourriture et de tinette sont très prégnantes.
Cette parenthèse sur rail est comme un nouveau souffle et le bercement du train, la quiétude feutrée qui y règne nous offre un véritable repos, une sorte de bulle dans laquelle on se laisse porter …
A Khabarovsk, à 300 km du Pacifique. Le train a traversé le fleuve Amour. La campagne a enfin enfilé ses fringues d’été et à l’arrêt, à la gare, sentir maintenant la douceur de l’air est bien agréable.
Nous longeons la Chine depuis un long moment et j’ai pu me rendre compte à quel point notre provodnitsa comme les autres n’aiment pas les chinois. Son visage méprisant et les mots marmonnés en disent long …
Nous sommes à 12 heures de Vladivostok et nous allons terminer nos provisions au repas du soir avant de nous laisser bercer une dernière nuit.
Ce que Jean-Luc a aimé :
- Voir parfaitement le paysage, tant à droite qu’à gauche sans la crainte de tomber dans un nid de poule par inattention.
- Piquer un roupillon avec la steppe qui défile derrière lui.
- Se laisser bercer par les longs mouvements du train.
- Pouvoir parler tout son sou et pas à travers le micro du casque
Ce que Dominique a aimé :
- Etre couchée des heures dans sa position favorite de lecture.
- Regarder la taïga qui défile.
- Manger du chocolat à n’importe quelle heure.
- Les jolies tasses à thé du wagon
- Acheter des pirosky sur le quai de la gare, sorte de beignets fourrés au fromage, très bons, très gras, très caloriques !
- Photographier n’importe quoi
Ce que Dominique n’a pas aimé :
- Devoir attendre entre 3 et 4 heures entre deux gares pour pouvoir fumer sur le quai, seul lieu autorisé.
- Se faire presque attraper par la Police du Train pour avoir fumé en douce entre deux wagons.
- Découvrir que la saucisse fumée mériterait d’être cuite. Ça n’a pas dérangé Jean-Luc.
PS n°1 : Merci à tous nos supporters
PS n°2 : Merci à Bruno de Normandie pour l’éloge que nous recevons avec un immense plaisir.
PS n°3 : Tous nos frères et sœurs et enfants, racontez bien nos aventures à nos Vieux Parents.