Depuis le Lac Baïkal

«La vie, ce n’est pas seulement respirer, c’est aussi avoir le souffle coupé »

Le 7 mai 2018

Nous voilà arrivés au lac Baïkal. Nous en rêvions, nous avions vu des reportages, lu des histoires de voyageurs ou de touristes bien organisés qui planifient le moindre détail, la moindre visite. Dire que nous ne pensions pas arriver jusqu’ici sans encombre ! Sûr que les dieux ou les esprits sont avec nous.
 

 

Nous logeons dans une guest house un peu de bric et de broc, un peu miteuse dont le propriétaire qui semble bourru de prime abord se révèle bien sympa.
 

C’est pour les russes, l’inter saison mais pour nous tout semble magique.

Ici, nous sommes en pays  bouriate, une ethnie mongole. Les bouriates disent que ce lac est la mer sacrée. On l’appelle aussi « la perle de la Sibérie ».

Il est immense comme toute la Sibérie finalement. 680 km de long, 80 de large, c’est la plus grande réserve d’eau douce au monde, plus que les cinq grands lacs américains réunis. 25 îles sur cette immensité et l’une d’elle nous attire tout spécialement. C’est l’île d’Olkhon, le cœur du chamanisme sibérien, le centre sacré du monde des chamans du Nord, reconnu comme un haut lieu du spiritualisme asiatique.

On dit que l’île est l’habitat des esprits. Khan Hoto Babaï serait venu sous la forme d’un aigle royal (emblème de l’île) et son fils serait le premier chaman. Les mythes et légendes abondent.

Alors au matin, le nez au vent (en fait bien cachés sous l’anorak, les bonnets et les gants) il fait -2 mais le soleil nous réchauffera jusqu’à, au moins 11, sans aucune idée du fonctionnement du bac traversier, du moyen de se déplacer dans l’île, nous allons jusqu’au débarcadère. On nous avait dit qu’il commençait ses rotations le 6 mai et ça tombe bien, le 6 mai c’est aujourd’hui !
 

Il n’y a pas d’engin flottant de notre côté de la rive, mais enfin, un bateau vient d’en face, fendant la glace.

Il débarque une armada de Coréens, presque tous un masque sur le nez. Tiens, on dirait que l’information selon laquelle l’eau et l’air du Baïkal sont très purs n’est pas arrivée partout !


Ce sont ceux annoncés par les deux russes (chauffeurs de bus) qui ont mangé avec nous hier soir.

Un spectacle à lui tout seul. Le traversier fend la glace qui craque sous sa force. Il faut de la patience quand on n’organise rien, mais du temps, nous en avons puisque nous nous reposons ici quelques jours.
 

 

 

 

En 10 minutes de traversée, émerveillés du spectacle nous sommes sur l’île. Il traverse à l’extrémité sud de l’île, « les Portes d’Olkhon » et on aimerait aller à Khoujir où il a des trucs à voir parait-t-il.
Oui, et comment fait-on maintenant ?
Comme on voit plusieurs UAZ, des fourgonnettes soviétiques réputées increvables et qui servent de taxi collectif, on monte dans l’une d’elles.
 


Mais niet, il faut descendre, celle-là est réservée pour un groupe de touristes. La guide du groupe nous dit qu’elle peut nous en envoyer un et nous acceptons l’offre. Mais quand, comment, on ne sait pas ! Ecole de patience vous dis-je. Un bouriate nous fait monter dans une autre et on attend. Le blizzard secoue la fourgonnette, nous sommes à l’abri relativement au chaud et Jean-Luc en profite pour piquer un roupillon.
Après une autre rotation de traversier, un homme au volant de la même fourgonnette que celle où nous patientions, attendant je ne sais quoi, nous prend à son bord et c’est parti pour 40 km de pistes chaotiques, de steppe jaunie après l’hiver, de chevaux sauvages, de maigres troupeaux de vaches.
 

 

 

On descend à Khoujir le village le plus habité de l’île là où vit le roi des chamanes des Pays du Nord qui reste bien caché derrière ses palissades, ce n’est pas la saison des cérémonies.
 

 

Dans le chamanisme il existe trois mondes. Le supérieur, peuplé des dieux, le médian, peuplé des hommes et l’inférieur peuplé des âmes des morts. Les esprits vivent dans les trois mondes et donnent au chaman sa force. Les esprits, ne sont ni bons, ni mauvais et il faut composer avec eux. Un chaman fait ce qu’il veut : maudire ou soutenir mais en aucun cas, il ne peut refuser l’aide qu’on lui demande.

On se croirait en Inde du Sud, hors la largeur des rues sablonneuses. Les vaches cherchent dans les poubelles, les chiens dorment, truffe au soleil et quelques voitures filent soulevant la poussière.
 

On trouve facilement le rocher sacré, le Chamanka, enchâssé dans la baie et dans la glace. D’un côté une plage caillouteuse et de l’autre côté de la baie une longue plage de sable blond où le froid a statufié les vagues sur le rivage. C’est un site d’une exceptionnelle beauté.
 

 

 

Des piliers, comme des totems, enrubannés de couleurs vives, parfaitement alignés appellent au calme et même à la méditation. Ce lieu si solitaire, sur la colline battue par le vent, regardant le lac pris dans sa glace aussi bleue que le ciel, transporte l’âme. On dit, qu’ici les esprits sont si présents que l’on peut leur parler même en l’absence d’un chaman. Je l’ai fait …

Tout semble magique et hors du temps. On nous a dit que juillet et aout était la saison où la foule de touristes était dense. On imagine facilement au regard du nombre d’échoppes (fermées) d’étals à souvenirs (vides) et de restaurants (fermés). Tant mieux tout n’est que plus mystérieux.

C’est très frustrant de ne jamais voir les maisons de bois ou les yourtes. Elles sont toutes, de la plus grande à la plus petite, entourées de haute palissades de bois ou de tôle colorée. On n’aperçoit que le sommet arrondi des yourtes. Sauf la yourte restaurant, fermée, bien sûr.

Nous avons marché sur l’herbe rase, mis les pieds sur la glace. C’était comme une intense respiration.

On trouve une « cantine » open et après un bortch bien chaud et des pelminis, après avoir rencontré un jeune russe de Kazan qui a reçu en cadeau pour ces 40 ans, un séjour sur l’île avec des amis, nous reprenons le chemin du débarcadère, grâce à lui qui nous a trouvé un chauffeur avec un vrai 4×4 et qui a pris des pistes improbables, nous secouant comme des paquets fatigués. C’était tellement mieux que la piste en tôle ondulée de l’aller.

Nous rentrons fourbus et profondément heureux de cette journée.

Ravitaillement à la petite épicerie du village et nous dînons à la table commune. Deux russes mangent aussi et offrent l’oumul, le poisson du Baïkal. Je veux bien croire qu’il est prisé dans toute la Russie mais là, si fumé, si salé, si sec, ce fut dur, très dur …

Les bouriates ont leur propre culture, étonnant mélange de chamanisme, de bouddhisme tibétain, de christianisme orthodoxe, mélange aussi de nomadisme et de sédentarisation.

Ici, au tour du lac, ils sont pêcheurs et bergers. J’ai lu, que, en 1930 sous Staline, ce fut une purge épouvantable, laissant le peuple bouriate exsangue.

J’ai lu (oui, je sais, je lis toujours après avoir vu, ainsi on part vierge de toute connaissance et j’aime bien) que les ethnographes ont découvert que le mot chamane au féminin est beaucoup plus ancien que le mot chaman au masculin. Il apparaît donc comme certain que les premiers chamanes furent des femmes. Super hein ? J’ai lu aussi que leur chant qu’on appelle joiks ressemble au bel canto.

Mais nous n’avons entendu que le sifflement du vent, le son cristallin de la glace qui fond sur les berges, le fracas des plaques heurtées par le bateau, le cri des mouettes et notre cœur est rassasié.
 

 

 

 

J’ai cru que la steppe était comme un espace sans vie, que les arbres, rares, que l’on aperçoit étaient morts, brûlés par le feu et par le gel.

Pourtant aujourd’hui notre grande randonnée nous menant sur un autre versant et où l’on voit le lac dans son immensité m’apprend que la steppe est bien vivante. Des fleurs sauvages mauve ressemblant aux colchiques, des lichens, des minuscules fleurs blanches et jaunes, parsèment l’herbe jaune. Elle sera verte dans plus d’un mois. Et ces arbres aux minuscules bourgeons, portant des petites pommes de pins et des fleurs ou fruits, je ne sais pas, me disent qu’eux aussi sont plein de vie.
 

 

 

 

 

 

 

 

Nous avons adoré marcher. Ça vous épate ? Nous aussi.

A l’heure où j’écris ces lignes, la journée touche à sa fin. Jean-Luc ronfle paisiblement. La révision de la moto attendra, parce que de toute façon, s’il y a un mécanicien, il n’y a pas d’huile. On fera ça plus tard, parce que plus tard est un autre jour …

Ce que Jean-Luc a aimé :

  • Filmer la glace qui se rompt sous la force du bateau et le son puissant que l’on entend si bien
  • Ecouter le son infime et cristallin, comme un léger tintement, de la glace qui fond sur la plage
  • Rire en comprenant que le vieil homme mongol au visage buriné comme du vieux cuir nous avait observé crapahuter des heures jusqu’au sommet de la colline nous souhaitait de bien dormir. Je crois que des dizaines d’yeux nous ont vu derrière les palissades. Ce n’était pas difficile de repérer deux bonnets rouges dans le désert absolu de la steppe.
  • Voir ce petit cimetière posé sur la steppe avec des tables de pique-nique et sur les tombes, des assiettes et des verres

 

Ce que Dominique a aimé

  • Marcher sur la glace, quelques pas.

 

  • Croire que les esprits m’ont écouté
  • Découvrir la vie de la végétation
  • Me perdre dans mes rêves en regardant le lac glacé
  • Imaginer le même paysage durant l’été si court
  • Faire bonne figure devant les présents de nourriture offerte à la table commune.

 

  • Photographier n’importe quoi

 

 

Ce que nous n’avons pas aimé

  • Se sentir curieux et avoir le regard « empêché » à cause des palissades
  • Ne pas savoir quels animaux vivent dans tous ces trous creusés dans la steppe. Rongeurs ? Marmottes ? Lièvres ?
  • Ne pas voir de phoques dont la légende dit qu’ils sont arrivés par un canal souterrain venant de l’océan Arctique et en règle générale pas d’animaux en dehors des chevaux et des vaches. Ni grue de Sibérie, ni tigre de Sibérie, ni ours de Sibérie et pas la queue d’un mouflon des neiges.

La suite, la prochaine fois et comme toutes les fois, nous vous remercions pour vos messages de tendresse, d’encouragement. Quand le découragement est là, ça arrive, nous y pensons et ça nous porte.

A bientôt.