« Le voyageur voit ce qu’il voit, le touriste voit ce qu’il est venu voir »
Le 04 mai 2018.
Effet du climat continental, hier la chaleur était vive avec ses 30° et ce matin, le thermomètre peine à atteindre les 7° à Kansk.
Il pleut des cordes. On charge la moto sous la pluie et quand, enfin prêts, nous voulons partir : niet ! la clé de contact refuse de tourner dans sa serrure. On essaie les 3 clés dont celle de sécurité et toujours niet. Nous sommes déjà trempés, et surtout désemparés. Allez, Jean-Luc met de l’huile sur la clé, dans la serrure du démarreur et après moult essais et nettoyages, ouf ça fonctionne. Comme l’étape est de 400 km puisque c’est le désert total entre ici et Touloun, que nous allons prendre 1 h de fuseau horaire en plus et que nous avons perdu 1 heure à ramer, ça promet d’être du sport!
Et bé, non, journée superbe et passées les trois heures de pluies diluviennes, on savoure le spectacle. 400 km de forêt boréale ou ce qu’on appelle en Russie, la taïga. C’est comme si nous allions de Lyon à Paris sur une route parfaite entourée à perte de vue de forêt. Sapins, épicéas, aulnes et bouleaux, le parfum des pins se glisse sous le casque, les nuages roulent dans le ciel, c’est absolument magique.
La nuance des troncs ambrés des pins et celle argentée des bouleaux sont un ravissement.
Tous les 100 km, une station-service toute seule puis les rivières d’arbres reprennent.
Il y a aussi des châteaux restaurant routiers qui poussent juste à côté.
Nous arrivons à Touloun, dans notre logis du soir, ravis et à peine las. Et heureusement qu’on ne sait jamais à l’avance ce qui va arriver sinon nous n’avancerions plus …
Parce que la route du lendemain, a été un peu, beaucoup, un cauchemar.
Touloun – Irkoutsk
Il ne pleut plus, le thermomètre frôle les 9°, c’est parfait, et même le ciel se permet des nuances de bleu.
Nous partons confiants. Nous savons que les entrées et sorties de ville sont piégeuses avec leurs nids de poule et leurs ornières et, en effet, en reprenant la transsibérienne, tout va bien, sauf que ça ne dure pas longtemps et même si les travaux de réfection sont en cours, ce sont des dizaines et des dizaines de kilomètres de pistes puis de route « peignée ». Le blizzard souffle en bourrasque et le jeune mongol de la station-service nous prévient que ça va durer trois jours. Merci bien !
Jean-Luc est un pilote d’exception, moi, j’vous l’dis. Il maintient et réadapte la moto à chaque bourrasque, on roule entre 30 et 60 km/h en fonction de la chaussée et on avance.
La forêt boréale est derrière nous. Ici durant les 400 km, ce sont des champs cultivés de terre encore brune où apparaissent comme un duvet des pousses vertes.
Je ne suis pas marseillaise hein les enfants ! Jean-Luc est témoin et c’est bien 400 km de champs, à l’ouest et à l’est à l’infini, tout comme au nord et au sud.
De temps en temps, tous les 50 km surgit un village rural, un enchevêtrement de toits d’isbas, noircies, encloses derrière les palissades. La vie des moujiks n’a guère changé depuis des lustres. Ils sont passés de la férule des tsars à celle des kolkhozes, puis à la privatisation donnant la terre si durement travaillée sous cette latitude à de gros consortium aux yeux plus rivés sur les tableaux de rentabilité que sur la réalité tant écologique qu’humaine. Nous avons appris qu’il reste encore quelques kolkhozes dont l’un immense appartient à l’opposant politique communiste du parti unique du président actuel et qui ne l’a pas emporté lors des dernières élections, mais ça, vous le saviez.
Dans les années 1775, la guerre des paysans, jacquerie des cosaques de l’Oural a atteint aussi la Sibérie; rejointe par les popes et les moines et après une féroce répression, le noms des villages et des régions a été changé (on met tout sous le tapis, y’a rien eu) . Ceux qui le souhaitent peuvent lire le bouquin de Pouchkine « Histoire de la révolte de Pougatchev »
Bref, après y’a eu les kolkhozes (économie collective) où les kolkhozniks étaient payés en part de production et avaient droit à 4 000 m2 de terre pour eux et du bétail, bien mieux que les sovkhoses lancés par Staline où les paysans étaient salariés.
Autrefois moujiks, donc libres et pas esclaves, peu à peu, ils deviennent asservis malgré tout et ce sera le tsar Alexandre II qui abolira le servage en 1800 et quelques.
Beaucoup plus tard, les paysans, au moment de la Révolution russe de 1917 attendaient beaucoup du nouveau pouvoir bolchevique et ensuite en URSS les moujiks sont considérés comme « des petits bourgeois au pire sens du terme, sans aucune culture, sans aucun sens de l’état » (phrase de Maxime Gorki)
Bref, z’avez vu, j’apprends tous les jours….
Dans la Fédération de Russie actuelle, le terme moujik est péjoratif et désigne le russe moyen.
Nous, ce que nous avons vu, c’est que, finalement, les conditions de vie des paysans n’ont pas beaucoup changé quand on voit leurs villages si pauvres perdus au milieu du gigantisme des champs. Des isbas branlantes, des palissades qui s’écroulent, quelques vaches étiques qui paissent dans l’herbe jaune, gardées par des cow-boys ou des gauchos ou le terme russe que je ne connais pas, quelques moutons et parfois des poulaillers géants qui, à mon avis, n’appartient pas aux personnes du village.
Bref, la journée arrive à sa fin et c’est complètement rétamés que nous arrivons à Irkoutsk, fiers et heureux parce que le nom de cette ville résonnait comme une victoire d’aller à 10 000 km de chez nous si près du lac Baïkal mythique à plus d’un titre.
Je vous raconterais quand nous y serons, je dis juste que si l’on dit à un russe : « Lac Baïkal » il répond « Baïkal ! Amour toujours !» (sic !).
Place à Irkoutz
Prenez Wikipedia, le Lonely Planet et vous serez sûrement mieux informé.
Mais, je vous l’assure pour le voir avec nos yeux, c’est un coup de cœur total.
Irkoutsk est une ville de Sibérie orientale dont l’emblème est un tigre. D’ailleurs, j’ai oublié de dire que chaque ville à son emblème, un cheval volant (non pas Pégase), un lion, un phoque etc. … Ses collines sont couvertes de taïga et elle a été fondé en 1652 avec le commerce de zibeline puis les mines d’or. Ville prospère puis théâtre de combats affreux entre les « blancs » et les « rouges », elle nous semble paisible aujourd’hui. Elle a un climat subarctique et est couverte de neige 160 jours de l’année, ce n’est pas beaucoup en rapport à d’autres villes sibériennes mais paraît que ça caille dur (-45°). Pour nous, il fait beau et tiède et on adore l’ambiance, l’architecture des maisons en bois, en brique, de l’ancien et du moderne.
On dirait qu’ici les gens sont nonchalants. Les nombreux visages asiatiques sont maintenant bien présents. Mongols, chinois, coréens et japonais.
Les touristes européens ne sont pas arrivés, mais ils doivent être nombreux en juillet-aout parce que les panneaux indicateurs des lieux à voir sont écrits en russe, en anglais et en chinois ou japonais, on ne sait pas. D’ailleurs, c’est peut-être du Coréen !
Nous nous baladons dans le centre historique classé au patrimoine de l’Unesco, on traverse un parc au bord du fleuve, tiens ! la statue de Youri Gagarine (enfin juste sa tête, pas le buste !). On mange des pelmenis (j’ai retenu le nom des raviolis russes dont je raffole), des salades d’ici avec du chou et de la betterave, coupés en fines lamelles.
Le vent souffle et à pied, en dehors d’avoir les cheveux ébouriffés, ce n’est pas trop gênant.
L’art a une grande place en Russie et ici comme dans toutes les villes, les théâtres abondent et, en plus, les édifices sont beaux comme le théâtre dramatique.
Saviez-vous que le danseur étoile Rudolf Noureev était né ici ?
Sans oublier les églises orthodoxes russes. Des bulbes, parfois des flèches dont l’or semble fondre au soleil.
Une ville où nos pieds ont bien marché, heureux de flâner sans se presser.
Ce que Jean-Luc et moi avons aimé :
- La forêt boréale
- La solitude sur la route et même la pluie
- Le subterfuge de Jean-Luc pour contrer le judas sur la porte, où l’on peut voir des deux côtés ! (Faut prendre de la cire à moustache, un morceau de PQ et le problème est réglé)
- La ville d’Irkoutsk
- Déguster une draniki et un bœuf Stroganoff
- Photographier n’importe quoi.
Ce que nous n’avons pas aimé
- Les vendeurs d’ours empaillés (c’était il y a quelques jours et j’avais oublié d’en parler), les vendeurs de renards empaillés.
- La route infernale et se faire dépasser par la droite sur une piste « champ de trous » où maintenir l’équilibre de la moto est un défi à chaque seconde.
- Quand en plus le blizzard s’en mêle, « mais qu’est-ce qu’on fait là ! »
La suite bientôt, de la « Perle de la Sibérie », le Lac Baïkal, magique, étonnant, déroutant, imprévisible, du pays des Bouriates …
Waouh, quelle ville ! Et quelle route ! Champions !
Bizarre le judas recto-verso !
Quant à la vie en dehors des villes, c’est vraiment la survie !
Baisers à vous deux
Coucou à tous les deux. Merci pour vos photos et récits, nous avons l’impression de voyager un peu avec vous ! le vent, les trous en moins…
Bravo ! On vous suit et on vous embrasse. Chantal et Bruno